HELENA MARTIN FRANCO
 
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LA CONDITION SYMBOLIQUE DE L’OBJET DANS LA SÉRIE DE PHOTOGRAPHIES
D’HELENA MARTIN « FAITES TROIS SOUHAITS »

Par Jorge Pantaleon

Tout aussi insignifiants qu’ils apparaissent à première vue, les objets présents dans les photographies d’Helena Martin possèdent une vie propre et se battent pour elle. Le peu d’importance de leur existence se rattache à leur origine propre, au peu de noblesse des matériaux avec lesquels ils sontfabriqués, au manque de caractère du lieu où ils sont vendus. Cependant nous sommes conscient que nous ne devrions pas avoir cette attitude déterministe par rapport au pedigree des choses: on sait que le peu ou le surplus de dignité qu’elles acquièrent est avant tout, la conséquence des destins que nous leur attribuons.

En les assemblant, avec beaucoup d’audace et des résultats incisifs, Helena Martin joue avec le destin de ces d’objets, raison d’être des Dollarama, paradigmes de la consommation instantanée. Ils sont, paradoxalement, le témoignage le plus tangible de notre présent quotidien; omniprésents et jetables. En apparence, ils sont physiquement incompatibles aux grandes prétentions, que ce soient des idées, des émotions ou des croyances. Comme tels, ils atteignent difficilement le statut d’objets sacrés.

Dans cette impossibilité apparente, on trouve la clé du jeu auquel nous invite l’artiste. Inconfortables pour l’oeil dogmatique, des figures et des éléments profanes ont envahi les niches créées pour héberger les saints, les vierges et les mariages dûment sanctionnés. On pourrait les soupçonner pour avoir profané un espace qui leur serait interdit. Mais au contraire, il s’agit juste d’une illusion optique. Cet inconfort de

l’oeil est un symptôme de et un (notre) problème de perception que l’artiste nous demande de corriger. En conséquence, le sortilège est dévoilé : les objets ne sont ni sacrés, ni profanes en soi et, moins encore, ad-eternum. Tous ces objets dépendent d’exercices routiniers de consécration pour devenir nobles.

Dans ce sens, rien n’est plus pertinent que de nous rappeler que le plastique et la silicone sont les matériaux du monde moderne, pour une grande quantité de dévots. La richesse est une fausse monnaie dorée, de la bonne fortune, des poupées du bonheur et de la beauté, aux corps débordants de gélatine éphémère. Le kitsch, d’éclat illusoire et strident de couleurs, doit partager la scène avec le réalisme des photos passeport. Ces dernières, dûment plastifiées, caractérisent un autre des fétiches les plus désirés et sacralisés de notre modernité, le passeport, véhicule d’une identité et du bien-être (bien sûr, quant le passeport est d’un pays développé ). C’est le drame éternel du désir : se véhiculer à travers une simulation (matériel simili).

Ainsi, le sacré et le profane s’exposent plus que jamais comme étant nécessaires l’un à l’autre. Objets et désirs concourent pour recevoir la glorification. Ces scènes nous démontrent de façon provocatrice que cette concurrence n’a pas de gagnants fixes, heureusement.

Montréal, 2005

Jorge Pantaleon est professeur adjoint au département d’Anthropologie de l’Université de Montréal. Son champ de recherche et d’enseignement est centré sur les problématiques sociales et culturelles de l’Amérique latine contemporaine, les cultures économiques et l’anthropologie du développement.